Je passe souvent devant cet espace où se trouvait implantée l’entreprise FAVO. 250 femmes, domiciliées à Romainville pour l’essentiel, y travaillaient.
Et chaque fois me revient à l’esprit cette révoltante image. Celle d’une armée de CRS, bouclant la rue à chaque extrémité, à quatre heures du matin. Ils étaient là pour chasser les femmes, qui cette nuit-là, tenaient le piquet de grève dans cette usine occupée depuis trois mois. Brutalement, violemment, en dépit de l’intervention des élus et des militants communistes.
C’était en avril 1979.
Après une série de licenciements, la direction annonce, à la fin de l’année 1978, la fermeture de l’entreprise, « pour raisons économiques ». Devant l’intransigeance de la direction, les salariées décident unanimement avec la CGT d’occuper leur entreprise. Pas n’importe laquelle. Le 25 décembre 1957, oui le jour de Noël, a été créé la société FAVO, à partir d’une entreprise déjà ancienne, établie à Romainville en janvier 1940. Cette manufacture, qui sera associée à « DELSEY » d’où sortaient des milliers d’articles, des valises, des sacs de toutes sortes. Comme toute marque qui se respecte, FAVO avait un logotype. « Un ours blanc », qui figurait sur chaque article qui sortait de l’entreprise. Les publicités étaient nombreuses à vanter les produits de la marque FAVO. « L’OURS BLANC», « BAGAGEZ-VOUS BIEN », « BAGAGEZ-VOUS…FAVO ».
Je me souviens d’une de mes visites dans l’usine occupée. Une visite qui fait mal. Des machines arrêtées. Froides. Comme un corps que l’on mutile et qui se meurt. Et pourtant tout est là pour sauver ce qui soudain dans l‘atelier glacial est devenu muet, inutile. La lutte de ces femmes fut exemplaire. Elles n’ont pas réussi à sauver leur « boîte », comme elles disaient, cependant leur courage et leur fierté étaient unanimement salués. Les élans de solidarité ont été multiples, de la part des militants syndicalistes et communistes, bien sûr. Mais bien plus largement. Combien furent-ils à apporter les plats préparés avec soin, le café et le soutien financier ? Il m’arrive de croiser certaines de ces femmes, au hasard d’une rue. Elles parlent de tout, mais il est rare qu’il n’y ait pas un petit mot pour cette expérience qui a marqué leur vie. Certaines d’entre elles m’ont confié qu’elles gardaient, précieusement tracts et affiches.
Ce récit se place au cœur de la désindustrialisation touchant de plein fouet notre département. Au début des années 80, j’ai le souvenir d’un débat qui nous avait occupés. Fallait-il continuer à défendre l’emploi industriel, à lutter contre les licenciements et la fermeture d’entreprises, nécessairement condamnées et appartenant à un passé révolu ? Ne valait-il pas mieux tenir compte des mutations en cours et tourner la page de l‘ère industrielle ?
On néglige un fait. C’est au nom de la recherche de profits d’un capitalisme jamais rassasié, qu’on a licencié, délocalisé, fermé des entreprises industrielles les unes après les autres. Au début des années 70, les capitalistes se sont lancés dans une véritable fuite en avant. Une véritable guerre économique s‘est engagée qui n’a cessé de s’intensifier. Les prises de contrôle, la spéculation les placements financiers, sont devenus les opérations les plus rentables. Du coup, pour transformer du capital productif en capital financier, on a cassé par pans entiers notre appareil de production. On nous a expliqué qu’il fallait sacrifier nos industries traditionnelles pour développer nos industries de pointe. On l’a fait, puis, on a liquidé nos industries de pointe.
Tout cela me ramène à l’entreprise « Delsey » associée à FAVO. « Delsey » est la marque française de bagages la plus réputée, dont le positionnement est fortement reconnu. En effet, la marque propose toujours des bagages français indéniablement innovants et à l’élégance subtile. Aujourd'hui, Delsey Paris est internationale, elle est présente dans 110 pays et sur les 5 continents avec plus 6000 points de vente. La marque ne possède plus une seule entreprise en France. Sa production est confiée à des sous-traitants situés en Asie.
Le combat des femmes de FAVO prend ici tout son sens.
Robert CLÉMENT
